Colloque international sous l’égide de DAMOCLES (Unige) et de l’ANR SYSPOE. Avec le soutien de l’International Association for the History of Crime and Criminal Justice (IAHCCJ).
20-22 novembre 2014, Université de Genève
Comité d’organisation : Marco CICCHINI (Université de Genève), Vincent DENIS (Paris-I Sorbonne), Vincent MILLIOT (Université de Caen), Michel PORRET (Université de Genève)
Comité scientifique : Livio ANTONIELLI (Università di Milano) ; Pascal BASTIEN (Université du Québec à Montréal) ; Jean-Marc BERLIÈRE (Université de Bourgogne/ CESDIP-CNRS) ; Frédéric CHAUVAUD (Université de Poitiers) ; Catherine DENYS (Université de Lille 3) ; Clive EMSLEY (The Open University) ; Paul FRIEDLAND (Gunzburg Center for European Studies, Harvard University) ; Donald FYSON (Université Laval, Québec) ; Karl HÄRTER (Max-Planck- Institute für europäische Rechstgeschichte) ; Anja JOHANSEN (University of Dundee) ; René LEVY (CESDIP-CNRS) ; Brigitte MARIN (Université Aix-Marseille) ; Alessandro PASTORE (Università di Verona) ; Xavier ROUSSEAUX (Université catholique de Louvain).
Appel à contribution
Depuis le XVIIe siècle, en pratique comme en théorie, police et justice constituent deux modalités spécifiques de la pacification sociale, deux manières d’exercer la puissance souveraine, deux modes de gouvernement. Bien que conceptuellement distinctes (elles relèvent « d’un ordre différent » selon Montesquieu), les activités de police et de justice sont pendant longtemps soumises à la confusion des compétences, à des limites de juridictions floues, confiées à des institutions et à des acteurs qui officient indifféremment dans l’un ou l’autre des deux domaines. La situation n’est cependant pas figée. Selon des chronologies diverses, un peu partout au XVIIIe siècle, la police s’autonomise par rapport à la justice dont les pouvoirs sont plus anciennement et solidement constitués : les frontières institutionnelles se déplacent, les acteurs et les territoires d’intervention se spécialisent peu à peu. Cette tendance de fond est radicalisée par la Révolution française. Dès 1789, la séparation institutionnelle entre police et justice est une exigence constitutionnelle qui participe à l’édification de l’État de droit issu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En 1808, le Code d’instruction criminelle entérine la séparation des fonctions policières et judiciaires dans la chaîne du pénal et en fixe durablement les contours, en France comme dans une grande partie de l’Europe continentale. Jusqu’à aujourd’hui pourtant, les tensions qui caractérisent les relations entre police et justice, entre juges et policiers, n’ont jamais cessé et soulèvent des questions d’une actualité toujours renouvelée, parfois brûlante.
Le colloque entend aborder l’articulation entre police et justice en se concentrant sur la chronologie de sa problématisation inaugurale, du temps des Lumières à l’avènement de l’État libéral, en Europe et en Amérique du Nord. Entre 1750 et 1850, les liens entre police et justice sont profondément reconfigurés par la pratique autant que par la norme, alors que se pose l’inextricable question de l’autonomie et de la complémentarité des fonctions policières et judiciaires. La richesse des travaux historiques récents, provenant de pays divers, encourage une véritable réflexion collective sur ce thème. A l’heure où le champs des études policières à l’époque moderne et contemporaine se renouvelle par des approches pragmatiques et non plus exclusivement institutionnelles, alors que se multiplient les travaux d’histoire sociale de la justice et du droit de punir, ce colloque sur la thématique « police et justice » comme objet d’analyse à part entière veut faire dialoguer deux traditions historiographiques souvent disjointes pour en croiser les apports. L’objectif du colloque consiste moins à combler une lacune historiographique qu’à inciter, à partir d’études de terrain, la réflexion sur le nœud gordien de la relation entre police et justice. En conséquence, il s’agira d’examiner comment se font ou se défont les relations entre les deux ordres de réalités, d’interroger les logiques propres qui les animent, leurs fonctions respectives et les frontières qui les départagent, comment se différencient et se rencontrent les acteurs, les pratiques et les institutions, quels sont les modalités de la collaboration ou de la distinction de la police et de la justice. Dans ce but, trois axes de réflexion peuvent être dégagés.
1) Durant la période concernée, le foisonnement des appareils de police et des tribunaux génère, sinon en droit, du moins dans les faits, concurrences et conflits de compétences qui ne se réduisent pas à la seule opposition police vs justice. Les magistratures urbaines, mais aussi rurales (justice prévôtale d’Ancien Régime ou maires sous la Restauration), cumulent souvent pouvoirs de police et compétences juridictionnelles, selon des logiques et des spécificités de gouvernement qu’il convient de mieux circonscrire : quelle sont les spécificités des territoires d’intervention ? qui sont les différents acteurs et quels sont profils professionnels spécifiques, les répertoires d’action, les modes de production des écritures officielles, les formes de la rémunération, les critères de la dignité professionnelle etc ? Comment se règlent les différends de compétence ou les degrés de subordination des acteurs dans l’un ou l’autre des domaines policiers et judiciaires ? Si l’œuvre de clarification opérée par la Révolution est patente (par exemple, la distinction entre infractions de police, délits méritant peine correctionnelle et poursuites criminelles), les évolutions souterraines antérieures qui distinguent progressivement police et justice (parfois sur les rivages de la justice civile) doivent être considérées, de même que les difficultés d’application du nouvel ordre institutionnel révolutionnaire ou les adaptions nécessaires aux réalités de terrain dans les premières décennies du XIXe siècle.
2) Les évolutions institutionnelles et pratiques s’expriment aussi sur le mode des convergences, notamment autour du processus de formalisation des activités policières et judiciaires. Au-delà de la constitution d’un ensemble de « bonnes pratiques », n’y a-t-il pas, selon des spécificités qu’il s’agirait de questionner, une manière pour les pouvoirs publics de répondre aux critiques que les Lumières formulent à l’encontre de l’arbitraire ? N’y a-t-il pas aussi une volonté d’encadrer les gens de justice et de police en tant qu’agents de l’État, à travers des écritures administratives diverses (protocoles, circulaires, manuels d’instruction, etc.) ? De même, le réformisme judiciaire qui mobilise l’opinion publique depuis les années 1760 ne rencontre-t-il pas – mais comment au juste et sur quels points ? – les exigences réformatrices qui affectent la police et qui s’expriment, plus discrètement, sous la forme de mémoires ou de rapports dont on connaît mieux aujourd’hui l’existence ? Et qu’en est-il, si ce n’est de la professionnalisation, du moins de la spécialisation des « métiers » de police et de justice au tournant du XVIIIe siècle ? D’autres convergences, mieux identifiées, permettront certainement d’inscrire les relations entre police et justice dans les grandes lignes de la centralisation étatique, de la modernité de l’État de droit ou de la gouvernance libérale.
3) Enfin, le colloque accordera une place importante à la genèse et à la formation de la police judiciaire, au sens contemporain du terme, comme illustration de la collaboration (nécessaire, conflictuelle ?) entre police et justice. Il y a d’abord un cadre théorique et conceptuel à réinterroger. En 1764, par exemple, Cesare Beccaria actualise la problématique de la modération pénale qu’il soude à l’efficacité de la poursuite pénale. En récusant « la rigueur des supplices » au profit de la « certitude de la punition », il inscrit la continuité de l’action policière et judiciaire dans l’économie punitive moderne. Héritière de cet idéal punitif, la Révolution française puis l’Empire matérialisent dans la norme et les institutions l’idée d’une police ante-judiciaires alimentant le processus pénal. Ce nouvel ordre policier est-il universel ou alors existe-t-il des modèles alternatifs sur le fonctionnement policier dans la procédure criminelle? Au-delà des discours et des normes, le pragmatisme répressif qui sous-tend l’évolution des relations entre police et justice mérite d’être mieux questionné. Des premières recherches l’indiquent : sur le terrain s’opère, avant même la sanction des normes et des principes de la séparation des pouvoirs, une division fonctionnelles et institutionnelle entre les agents qui recherchent, arrêtent et remettent les justiciables et les magistrats qui les jugent. Ce colloque aimerait aider à mieux comprendre comment, en quels lieux, selon quels principes pratiques et légaux se rencontrent les divers acteurs (« policiers » et « juges ») de la chaîne pénale. Comment penser de façon comparative ces évolutions dans les aires géographiques qui n’ont pas directement été soumises aux codifications révolutionnaires et napoléoniennes ? Enfin, comment, aux premières heures de sa conceptualisation, fonctionne en pratique, sur le terrain, la relation entre les agents de la « police de sûreté », puis de la « police judiciaire », et les magistrats de la justice ? Avec quels outils conceptuels, quels modèles politiques ou administratifs et pour quels succès ou échecs cette relation est-elle expérimentée et vécue ?
Tels sont les principaux enjeux épistémologiques et thématiques de ce colloque sur les relations entre justice et police entre les Lumières et la première moitié du XIXe siècle.
Les propositions de contribution (titre et résumé de 1000 signes environ) sont à soumettre d’ici au 14 mars 2014 à l’adresse suivante : marco.cicchini@unige.ch